Histoire du sucre : de l’Antiquité à nos jours

Article rédigé par Anne-Christine DUSS – Nutritionniste, Genève

1. Les origines

Le sucre, dans sa forme naturelle, existe depuis des millénaires. Les premières traces de son utilisation remontent à l’Antiquité, principalement dans les régions tropicales de l’Inde et de l’Asie du Sud, où la canne à sucre (Saccharum officinarum) était cultivée depuis au moins 500 av. J.-C. (Mintz, 1985). Les habitants extrayaient le jus de la canne, qu’ils faisaient cristalliser pour obtenir un produit solide et sucré.

À cette époque, le sucre n’était pas un produit de consommation courante. Il était rare et précieux, principalement utilisé par les élites pour ses propriétés énergétiques et médicinales. Les médecins antiques considéraient le sucre comme un remède contre certaines maladies et un tonique pour le corps et l’esprit (Toussaint-Samat, 2009).

Dans d’autres civilisations, comme la Mésopotamie et l’Égypte, des plantes sucrées étaient également utilisées pour aromatiser les plats, mais la canne à sucre demeurait un luxe importé (Flandrin, 1996). Son utilisation était limitée et symbolique, marquant le statut social et le pouvoir des familles fortunées.

2. Le sucre en Europe

Le Moyen Âge

Le sucre a été introduit en Europe au Moyen Âge grâce aux marchands arabes et italiens. Il provenait alors essentiellement d’Inde et d’Orient (Mintz, 1985). Très coûteux, il était considéré comme un produit de luxe réservé aux cours royales et aux familles nobles.

Les pharmaciens médiévaux vendaient le sucre sous forme de petits cristaux ou de poudre. Il était censé « donner un coup de fouet » au corps ou au sang et avait donc autant une fonction médicinale que culinaire (Toussaint-Samat, 2009). Les recettes sucrées étaient rares et souvent associées aux plats médicinaux ou aux boissons aromatisées.

La Renaissance et Catherine de Médicis

Au 16ᵉ siècle, Catherine de Médicis introduit le sucre dans la gastronomie française, jouant un rôle clé dans le développement de la pâtisserie et des confiseries (Flandrin, 1996). Son influence favorise l’usage du sucre dans les desserts, les décorations de table et les mets raffinés. Il devient alors un symbole de prestige et de raffinement dans l’alimentation européenne.

3. Le sucre raffiné

Les premières techniques de raffinage

Le raffinement du sucre permet d’obtenir un produit pur, blanc et cristallin, plus doux et facile à conserver. Cette innovation transforme l’alimentation, car le sucre devient plus maniable et peut être intégré dans de nombreuses préparations (Mintz, 1985).

À l’origine, le sucre raffiné restait un produit coûteux. Cependant, la standardisation des techniques de production et le développement de la production industrielle permettent progressivement de le rendre plus accessible à la population européenne.

L’extraction de la betterave

Au 19ᵉ siècle, la découverte que le sucre pouvait être extrait de la betterave sucrière (Beta vulgaris) bouleverse l’industrie sucrière (Flandrin, 1996). La betterave peut être cultivée en Europe, ce qui réduit la dépendance vis-à-vis des colonies tropicales et du commerce de la canne à sucre.

Cette innovation a démocratisé la consommation de sucre. Ce dernier est devenu plus abordable, ce qui a entraîné une augmentation de la consommation individuelle et a favorisé le développement des industries alimentaires et des confiseries modernes.

4. Le commerce et l’économie du sucre

Le sucre a longtemps été un moteur économique et un élément central du commerce mondial. Les plantations coloniales, notamment aux Caraïbes et en Amérique du Sud, ont produit du sucre à grande échelle à partir de la canne. Ce commerce a été étroitement lié à l’esclavage, car la main-d’œuvre servile permettait de maintenir des coûts de production bas (Mintz, 1985).

Avec l’industrialisation, la production sucrière s’est modernisée et mécanisée, renforçant l’importance économique du sucre dans le commerce international. Le sucre est devenu un produit stratégique, influençant à la fois la politique coloniale et les échanges commerciaux entre continents.

5. L’impact sur l’alimentation et la culture

Avant l’apparition du sucre raffiné, l’alimentation humaine reposait sur des sources naturelles de glucides, principalement des fruits, légumes et céréales complètes. Ces aliments étaient nutritifs et apportaient fibres, vitamines et minéraux essentiels (Gibson, 2007).

L’arrivée du sucre raffiné a radicalement transformé la cuisine et les habitudes alimentaires. Il a permis la création de desserts sophistiqués, de confiseries et de boissons sucrées. L’industrialisation alimentaire a ensuite multiplié les produits contenant du sucre ajouté, rendant sa consommation quasi quotidienne.

Cependant, la consommation excessive de sucre raffiné est maintenant reconnue comme un facteur de risque pour la santé. Elle est associée à l’obésité, au diabète de type 2, aux maladies cardiovasculaires et à certaines maladies métaboliques (WHO, 2015). Les recommandations nutritionnelles modernes conseillent donc de limiter les sucres ajoutés et de privilégier les aliments à indice glycémique bas et riches en nutriments (FAO/OMS, 2015).

6. Le sucre dans la société contemporaine

Aujourd’hui, le sucre est un ingrédient omniprésent dans l’alimentation industrielle. Il est utilisé dans les boissons sucrées, les pâtisseries, les biscuits, les sauces et même certains plats préparés. La surconsommation de sucre est devenue un enjeu majeur de santé publique, avec des campagnes visant à sensibiliser la population à ses risques (WHO, 2015).

La prise de conscience de ces effets négatifs a également favorisé le développement de substituts naturels (comme le miel, le sirop d’érable, le sucre de coco) et d’alternatives industrielles à faible indice glycémique. Les consommateurs sont de plus en plus attentifs à la qualité nutritionnelle des produits qu’ils consomment et cherchent à réduire leur apport en sucre raffiné.

7. Les sucres cachés dans notre alimentation moderne

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’apport quotidien en sucre ajouté ne devrait pas dépasser 24 g par jour. (Il est important de distinguer ce sucre raffiné des glucides naturels comme dans les fruits et les légumes).

Aujourd’hui, le sucre raffiné est partout, souvent caché dans des produits que l’on pense salés ou sains. Charcuteries, pains industriels, barres céréales « healthy », poudres de protéines, bouillons, sauces ou plats préparés contiennent presque toujours du sucre ajouté, utilisé pour améliorer le goût, la texture, la conservation et stimuler l’appétit. Voici quelques groupes d’aliments qui peuvent contenir des sucres cachés:

L’accumulation des sucres cachés au quotidien

Tous ces produits contiennent des sucres ajoutés invisibles, et leur consommation tout au long de la journée peut rapidement dépasser les recommandations de l’OMS.

  • Charcuteries : jambon cuit, bacon, saucisses, pâtés… peuvent renfermer du dextrose, du sirop de glucose ou de la maltodextrine, parfois plusieurs grammes par portion.

  • Pains et viennoiseries : le pain industriel, même complet, peut contenir facilement 5 à 10 g de sucre pour 100 g, utilisé pour activer la levure ou améliorer la mie.

  • Bouillons et sauces : cubes de bouillon, sauces tomate ou plats préparés ajoutent du sucre pour équilibrer le sel ou améliorer la coloration, souvent 2 à 4 g par portion, mais dans certains produits bio, il peut atteindre 20 g de sucre pour 100 g. Le ketchup industriel en contient entre 11 et 23 g pour 100 g.

  • Plats transformés : nuggets, lasagnes, hachis parmentier… contiennent fréquemment du sucre dans les sauces ou marinades.

Conclusion : même en consommant des produits que l’on croit « salés », le sucre peut s’accumuler très vite dans la journée. Une lecture attentive des étiquettes et le choix de produits peu transformés sont essentiels pour rester en dessous de la limite quotidienne recommandée et limiter les apports inutiles en sucres raffinés.

En résumé

Le sucre a parcouru un long chemin depuis ses origines antiques :

  • D’abord rare et précieux, réservé aux élites et utilisé comme tonique médicinal.
  • Introduit en Europe au Moyen Âge, où il était luxueux et cher.
  • Raffiné et démocratisé au 19ᵉ siècle grâce aux techniques de production et à l’extraction de la betterave.
  • Aujourd’hui omniprésent dans l’alimentation industrielle, son usage excessif est un problème de santé publique.
  • La consommation consciente de sucre, en privilégiant les sources naturelles et à IG bas, demeure essentielle pour préserver la santé. L’histoire du sucre illustre à la fois son importance culturelle, économique et nutritionnelle, ainsi que les défis sanitaires contemporains liés à sa surconsommation.

Références

  • Flandrin, J.-L. (1996). Histoire de l’alimentation. Paris: PUF.
  • Gibson, R. (2007). Principles of Human Nutrition. Oxford: Oxford University Press.
  • Mintz, S. (1985). Sweetness and Power: The Place of Sugar in Modern History. New York: Viking.
  • Toussaint-Samat, M. (2009). Histoire du sucre. Paris: Fayard.
  • WHO (2015). Guideline: Sugars intake for adults and children. Geneva: World Health Organization.
  • FAO/OMS (2015). Dietary guidelines and sugar consumption. Rome: FAO.